Cacahuète, peau de saucisson ou spéculoos… Le “goût de souris” a beaucoup de noms mais il reste un mystère pour les vignerons. Depuis 2015, l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) à Bordeaux a lancer des recherches pour tenter de l’expliquer...
Dans un article rédigé par Julie Reux et publié en 2015 par la Revue des Vins de France : “Vin nature : ce goût de souris ne fait que passer” une première approche de la définition de ce défaut organoleptique était proposée… “C’est plus une texture, avec un côté gras de cacahuète. Et l’odeur du poil, voire de la pisse de souris“, décrivait alors Loïc Roure, vigneron dans le Roussillon (Domaine du Possible).
Le goût de souris n’est pas simple à décrire. Notamment parce qu’il s’agit d’un défaut olfactif quasi indétectable au nez. Il se manifeste “lorsque le pH augmente et que l’acidité diminue“, expliquait Gilles de Revel, chercheur de l’unité de recherche œnologie de l’ISVV à Bordeaux dans cet article (à retrouver dans son intégralité en suivant le lien ci-joint https://www.larvf.com/,vin-naturel-gout-de-souris-etude-bordeaux-isvv-vin-nature-soufre-vins,4429166.asp#:~:text=Le%20go%C3%BBt%20de%20souris%20n,de%20l’ISVV%20%C3%A0%20Bordeaux )
Depuis 2015, les premiers résultats des travaux de recherches de l’ISVV ont été publiés. Les premières informations issues des travaux de Patricia Ballestra tendent à nous orienter vers des acquis et des questions encore en suspends que soulève ce défaut organoleptique en recrudescence dans les vins sans soufre ajouté…
Il est tout d’abord intéressant de noter que ce défaut organoleptique se perçoit en rétro-olfaction lorsque le vin se mélange à la salive. Chaque individu étant différent dans sa sensibilité et sa composition biochimique salivaire; la sensibilité au goût de souris s’en trouve très variable selon ses critères personnels. Il est intéressant donc de pouvoir définir cette déviance comme une flaveur du vin particulièrement désagréable qui rappelle l’odeur émanant des cages de rongeurs mal entretenues d’où sa généralisation en terme d’expression singulière en tant que goût de souris. Pour autant et comme le rappelait Gilles de Revel dans le précédent article; la littérature œnologique a pu proposer plusieurs descripteurs corrélés allant de l’emphase sensationnelle autour du rongeur aux descriptifs liés à la peau de saucisson ou aux crackers plutôt appétissant que chaque hôte tend à offrir régulièrement en apéritif.
En corrélation avec cette perception olfactive difficile; le fait que les composés responsables du goût de souris soient peu volatils au pH du vin, rend la détection compliquée et hétérogène en fonction de l’expérience du dégustateur au premier nez. En conséquence, le mélange de ces composés avec la salive favoriserait la perception par voie retro-nasale et la détection en bouche; entrainant une sensation plus désagréable et réfractaire pour le dégustateur.
Acylation de la lysine et l’ornithine.
Forte de ces premières constatations, les recherches de Patricia Ballestra ont permis de cibler les molécules en cause dans l’expression biaisée du vin. Il s’agit de trois bases aromatiques N-hétérocycles au seuil de détection assez bas en terme d’impact sur l’aromatique et l’expression du vin (cf tableau ci-dessous) issues de l’acylation de deux acides aminées, la lysine et l’ornithine.
Pour rappel, dans sa thèse publiée en décembre 2017, Léna Dettori (Docteur en Génie des Procédés et des Produits à l’université de Lorraine) expliquait qu’une réaction d’acylation permet l’ajout d’un groupement acyle sur une molécule, ce groupement étant transféré depuis un agent acylant par voie chimique et/ou enzymatique. Les acides aminés acylés ont été largement décrits comme constituant une classe d’agents tensioactifs avec d’excellentes propriétés de surface, des activités biologiques intéressantes, un faible potentiel de toxicité et un faible impact environnemental.
Mais pourquoi cette acylation des acides aminés ? Tout simplement par adaptation des organismes microbiens; la polarité des acides aminés pouvant limiter leur transfert à travers les membranes cellulaires, leur acylation peut donc faciliter le passage de ceux-ci au travers des membranes biologiques en augmentant leurs propriétés lipophiles, tout en garantissant leur protection vis-à-vis d’attaques protéolytiques endogènes et accroître ainsi leur stabilité.
En absence de soufre dans le vin après les opérations fermentaires, il devient donc logique que la population microbienne en présence potentiellement plus massive et surtout réactive, puisse synthétiser des enzymes favorisant la catalyse et la voie d’acylation à l’origine de la formation de ces déviations ? De plus certaines enzymes
hydrolytiques, et principalement les lipases, largement utilisées pour catalyser ce types de réactions ont une activité renforcée dans un environnement non aqueux comme milieu réactionnel. A cela, on peut envisager un couplage avec certaines acylases; enzymes capables de catalyser l’acylation d’acides aminés ou de peptides avec des acides
gras régulièrement produites par divers micro-organismes, en particulier par les bactéries filamenteuses.
Au regard de ces nouvelles données, on peut donc s’interroger sur l’évolution des vins actuels marquée par 3 phénomènes favorisant le développement des défauts olfactifs… à savoir, les diminutions des teneurs en SO2, voir l’éradication de son usage comme tampon de protection antiseptique et anti-oxydatif, l’augmentation du pH et la baisse régulière de l’acidité naturelle du vin liées à la dérégulation de la climatologie et au réchauffement climatique, et le recours aux flores indigènes.
Screening des différentes souches de bactéries présentes dans le vin
Cette constatation a donc amené Patricia Ballestra a réalisé au sein de l’ISVV un screening des différentes souches de bactéries présentes dans le vin après fermentation malo-lactique pour leur capacité à produire le goût de souris.
Et la première surprise fut de constater que la grande majorité des souches d’O. oeni sont capables de produire le goût de souris en conditions standardisées; ce qui laisse présager, d’une part, d’une influence majeure de l’absence de SO2 dans son rôle de régulation basse des volumes de populations microbiennes tout au long de l’élevage, limitant ainsi la présence d’enzymes catalytiques en solutions, tout en justifiant autrement de l’absence d’un caractère sélectif de souches potentiellement non productrices et résistantes au soufre au moment de son ajout.
Question sur le contrôle des apports en oxygène pendant l’élaboration et l’élevage des vins ?
Le contrôle des apports en oxygène pendant l’élaboration et l’élevage des vins sans soufre ajouté, apparait donc comme l’un des paramètres clefs de la maitrise du déclenchement de la production des composés responsables du goût de souris.
D’un point de vue microbiologique, un faible bruissement oxydatif des vins peut permettre de favoriser celui d’un redémarrage de la population bactérienne et levurienne; le screening montrant que Brettanomyces spp. pouvait être également productrice d’APY et d’ATHP.
Des premiers travaux de recherche appliquée menés par N. Richard (Etude Inter-Rhône 2019) sur la composition en tanins et les méthodes proactives et/ou curatives dans le cadre de la maitrise du déclenchement de la production des composés responsables du goût de souris tendent à démontrer qu’un ajout en ellagitannins à des doses de 5 g/hl semblerait entraîner la diminution de la perception du goût de souris dans les vins traités en comparaison avec des vins témoins non traités.
Pour rappel, les ellagitannins C-arylglucosidiques sont des composés polyphénoliques issus du métabolisme spécialisé de nombreuses plantes, en particulier celles appartenant à la famille des Fagacées comme le chêne et le châtaignier. Les ellagitannins en solution représentent donc un ensemble de catalyseurs peroxydatifs performants (Vivas, Glories, et al, 1993) jouant un rôle de courroie de distribution de “l’oxydation ménagée” des vins. La disparition progressive de l’oxygène dissous est suivie d’une production plus ou moins importante d’acetaldéhyde dans les vins, pivot des condensations entre les tanins et les anthocyanes.
Pour autant, et malgré ce rôle potentiellement tampon des ellagitannins dans la régulation oxydative des vins; on peut s’interroger sur l’état macro-physique de la matrice des vins et de sa richesse en polyphénols réactifs de faible poids moléculaires.
Pour rappel, la formation d’acétaldéhyde, clef de voute de la modification de la structure des tanins, va favoriser un abaissement de l’astringence des vins par augmentation de leur degré de condensation (liaisons T-T) et une fixation, dans les vins rouges et rosés, de la couleur par combinaison entre tanins et anthocyanes (T-A). L’oxydation ménagée permet également une combinaison avec les protéines, les polysaccharides et les sels issus du vin.
En conséquence, et en présence d’une faiblesse naturelle en tanins libres et réactifs, et en absence de SO2 pouvant jouer un rôle de tampon oxydatif régulateur; le risque de développement de composés responsables du goût de souris augmente.
Tanins ANTI-OX©, intrant naturel pour les vins sans souffre ou à faible dose de soufre ajouté
Le monde de l’œnologie est depuis toujours à la recherche de process permettant de contrôler l’oxydation du vin dès la vendange, jusqu’à la mise en bouteilles, tout en réduisant au maximum l’utilisation du soufre.
Le tanins ANTI-OX© développé par la société EBX pourrait être une alternative probable de part ses caractéristiques permettant d’associer les propriétés de comportement individuel vis à vis de l’oxygène des tanins isolés en blend synergique capable de proposer en quelques heures un schéma de production oxydative comparable au niveau de production obtenu avec une adjonction de soufre (Cf schéma ci-dessous)
Olivier Henry, ingénieur en développement produits chez EBX, précise que “le concept de ce produit a été développé par la société soeur, Oxylent, et était au départ destiné à la conservation des charcuteries en combinaison avec l’acide lactique”.
Au cours de cette étude, fut testé différents polyphénols, seuls ou en combinaison, permettant de mettre en évidence des synergies entre eux, tant au niveau anti-oxydant que du point de vue bactéricide/bactériostatique.
Les graphiques ont été réalisés selon des mesures ORAC / TEAC, classiques pour mesurer l’effet anti-oxydant des polyphénols dans l’industrie alimentaire ou la parapharmacie.
Sur base de ces études, il a été dérivé un produit spécifique à l’œnologie, qui tient compte des restrictions dues au Codex, ainsi que des contraintes organoleptiques spécifiques au secteur (l’utilisation de polyphénols de Thym par exemple ayant été proscrite).
Le produit est donc un blend synergétique de polyphénols, tous autorisés par le Codex. La composition « globale », commune aux versions « Blanc » et « Rouge », comprend des tanins de chêne, de noix de galle (Alep et Chine), et des tanins de pépins de raisin.
La concentration renseignée a été dérivée sur base d’études microbiologiques en laboratoire, sur des souches « communes », ainsi que sur l’obtention d’un effet anti-oxydant raisonnable en terme de temps.
En effet, pour Olivier Henry, “contrairement à un réducteur chimique classique type SO2, l’effet anti-oxydant des polyphénols met un peu plus de temps à s’installer. Une partie de ce temps est caractéristique du polyphénol utilisé (indépendante de la concentration) et, en employant une combinaison synergétique de ceux-ci, on arrive à raccourcir ce temps. Ensuite, la pente d’efficacité, pour arriver à 100%, est proportionnelle à la concentration utilisée”.
Les concentrations renseignées ont donc été dérivées d’expériences et de calculs, et devront donc être maintenant expérimentées et validées par des essais à différents moments de la vie du vin sous contrôle des responsables œnologiques.
Ce produit référencé et distribué en exclusivité dans la gamme Vinextase œnologie par Soufflet vigne peut correspondre à une alternative crédible de contrôle de l’accélération des phénomènes oxydatifs responsables par effet papillon de l’apparition des défauts organoleptiques.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces apparitions sont souvent assez tardives aux moments ou après une mise en bouteille qui constitue la plus part du temps une phase de réintroduction d’oxygène consommable dans un vin jusque là protégé au cours de son élevage.
L’état colloïdale du vin; une nouvelle vision durable des équilibres et de la stabilité des vins
Une autre approche plus sensible et pragmatique pourrait viser à chercher à qualifier la nature de la structure colloïdale des vins stabilisés afin de déterminer les déficits naturels en tanins, polysaccharides et/ou protéines à l’origine d’un glissement potentiel vers la voie d’acylation après formation d’acétaldéhyde.
Des études récentes menées par Nicolas Vivas tendent à prouver que l’oxygène doit être considéré non plus comme un facteur de risque mais comme un traitement de part sa capacité à entrer en solution dans le vin qui le consomme et change sa composition et ses qualités.
Pour cela un nouvel outil d’estimation de la densité colloïdale du vin et de sa stabilité a été développé afin d’évaluer les effets de divers traitements sur la stabilité colloïdale des vins. Cet outil analytique pourrait donc être utile dans l’interprétation corrélée d’un vin à être en capacité de réagir favorablement aux impacts oxydatifs dans le cas de vins sans soufre ajouté.
Dans ce cas précis, l’oxydation est un sujet qui doit être abordé dans sa globalité et non comme le résultat de la somme arithmétique de l’effet de substances oxydables. “L’état colloïdale du vin est une nouvelle vision durable des équilibres et de la stabilité des vins. C’est un pas de plus vers la réalité du milieu vin”.
Par Romain TRASTE pour Ecotone œnologie
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